“Que savez-vous de Vinci ?”, True Detective s02e02 (Récap.)

(HBO) s02e02 “Night Finds You”
saison en 8 épisodes diffusés chez nous sur OCS
ep2-ss04-1920

J’en parlais en fin de mon précédent récapitulatif – car, oui, il faut le lire jusqu’au bout –, la ville de Vinci fait clairement allusion à Vernon, authentique ville californienne située à quelques encablures au sud-est des quartiers de Downtown à Los Angeles. Ce territoire faiblement habité et massivement industrialisé collectionne, depuis les années 1920, les affaires de corruption en tout genre.
Les aberrations de ce lieu sont justement au centre du ce deuxième épisode de True Detective. Au delà de l’affaire criminelle, elles permettent à Nic Pizzolatto (son auteur) d’évoluer sur l’un des thèmes fétiches du polar : la dénonciation d’un environnement urbain vérolé à tous les étages.

Attention ! Ce qui suit est un récapitulatif dudit épisode. Vous auriez tout intérêt à l’avoir vu avant de lire la suite.

It’s like everything’s papier-mâché.
Avant d’évoquer Vinci, ce volet s’ouvre avec Frank Semyon allongé sur son lit. C’est sans doute le petit matin et il supporte mal la présence de deux tâches qui semblent le contempler du plafond. A ses côtés, sa femme, elle aussi éveillée, l’écoute alors raconter comment son père l’enfermait dans la cave avant de se biturer lorsqu’il avait six ans. Si Semyon ne trouve pas le sommeil et qu’il ressasse son enfance, c’est parce qu’il sent que les chose lui échappent.
Son pressentiment se confirme lorsque Velcoro lui apprend le sort de Caspere, lequel, il l’apprendra ensuite, n’avait pas effectué les acquisitions de terrains nécessaires pour son fameux projet du rail tant convoité. Semyon se rend chez Catalyst – l’une des société implanté à Vinci et accessoirement propriétaire des parcelles – où il comprend que l’achat est toujours possible mais très compromis tant que ses fonds sont dans la nature depuis la disparition de Caspere.
Envolée donc la posture du Frank réglo. Il va tout faire pour retrouver ses billes, y compris secouer quelques hommes d’affaires douteux et fréquenter un club longtemps honni.

Am I supposed to solve this or not?
Après la confession nocturne de Frank, True Detective s’offre un montage triangulaire brillant durant lequel nos trois représentants des forces de l’ordre se voient confier leurs missions respectives. Car si – sur le papier – l’objectif commun est de résoudre l’affaire Caspere, les motivations officieuses, elles, diffèrent grandement.
En clair, voici les positions de chacun. Le Compté de Ventura prédomine car le corps a été trouvé dans sa juridiction ; Bezzerides sera donc chargée de l’enquête. Mais Caspere étant un officiel de Vinci, ses responsables policiers souhaitent poursuivre leurs investigations. Velcoro assistera donc Bezzerides tout en tenant informé sa hiérarchie qui souhaite éviter le moindre scandale risquant d’entacher le statut “singulier” de Vinci. Et il se trouve qu’ils ont tout à fait raison d’être prévoyants car une enquête menée par l’état de la Californie est en cours. Le procureur général demande donc à Bezzerides de travailler Velcoro au corps afin qu’il livre des preuves quand aux malversations de Vinci. Mais surtout, il bombarde Paul Woodrugh (le CHP, California Highway Patrol, est sous l’autorité de l’état) enquêteur “spécial” au prétexte qu’il a découvert la victime. L’occasion est trop belle pour Woodrugh alors qu’il était mis à pied (voir épisode précédent) et le procureur place ainsi un autre pion dans l’enquête Caspere.

Who am I supposed to be?
Malgré cette promotion inespérée, le vétéran Woodrugh n’ambitionne rien d’autre que de retrouver son ancien poste sur la moto. Ce dévouement pour le métier cache de toute évidence une fuite en avant, laquelle insupporte désormais Emily qui ne voit d’autre choix que de rompre avec Paul.
On le voit ensuite à peine plus à l’aise chez sa mère. Cette dernière qui ne souhaite pas qu’il l’appelle “Ma’” est très tactile avec son fils et son attitude envers une ex de Paul provoque immédiatement un malaise palpable. Son enfance a manifestement laissé des traces.

I don’t distinguish between good and bad habits
Ani semble également avoir connu une enfance compliquée. Le psychiatre qui s’occupait de Caspere mentionne opportunément son père – aperçu dans le premier épisode – et elle lui répond du tac au tac en précisant que ses camarades d’alors ont depuis opté pour la prison ou le suicide.
Un peu plus tard, elle s’attarde un peu plus que nécessaire sur du porno en ligne. On se rappelle qu’elle avait, semble-t-il, perturbé son partenaire d’alors avec des désirs exotiques. Elle n’est sûrement pas “passive” comme l’était Caspere et c’est ce qu’elle explique plus tard à Velcoro en précisant qu’elle voit sa collection d’armes blanches comme le moyen de contrebalancer la supériorité physique masculine.

…but sometimes a good beating provokes personal growth.
Raymond, quant à lui, serait plutôt en position d’infériorité. On le fait chanter de toute part. Semyon le téléguide depuis qu’il a eu besoin de ses services pour faire disparaître un corps (sûrement celui de l’agresseur de sa femme). Et puis, de manière encore un peu plus cruelle, son ex-femme le menace d’effectuer un test de paternité. Sa garde partagée est plus que jamais compromise.
Il est donc au plus bas et on n’imagine pas un seul instant le destin qui l’attend du côté d’Hollywood. L’enquête qu’il mène avec Bezzerides avance peu. Tout juste ont-ils appris que Caspere voyait des jeunes femmes et qu’il en concevait une certaine culpabilité. Semyon, de son côté, a rapidement déniché une adresse à laquelle Caspere devait recevoir ses plaisirs tarifés. Velcoro s’y rend seul mais une mystérieuse personne arborant un masque l’y attend avec un fusil à pompe…
La caméra s’éloigne lentement du lieu. La nuit vient de trouver Ray Velcoro.

Le cliffhanger est inattendu et ferait presque écran au sujet central de cet épisode, un coup de projecteur implacable pointé sur une collectivité territoriale ahurissante. Vinci, ou Vernon de son vrai nom (voir cet historique sur Forbes), est un mini-paradis fiscal pour industrie polluante dans le besoin, un asile pour tout entrepreneur souhaitant avoir recours à de la main d’oeuvre clandestine, bref, une organisation bien entretenue pour enrichir une minorité de responsables sans scrupules. Le pire dans tout cela, c’est que Nic Pizzolatto n’a pas eu besoin de grossir le trait. Nul besoin d’enlaidir un microcosme déjà particulièrement détestable.
Il rejoint ainsi une tradition bien ancrée du polar. Mettre en évidence ces lieux que l’on ne saurait voir, ces bas-fonds interlopes souvent exploités par des individus aux motifs douteux.

Avec ce regard sans équivoque, l’ambition de Pizzolatto est audacieuse. Le choix de laisser derrière lui une histoire de serial killer sur un fond gothique sudiste pour la remplacer par un pamphlet directement lié avec une réalité géopolitique et sociale, est admirable.
On remarque notamment – toujours sur un mode opératoire fidèle au genre du polar – que l’approche des personnages est systématiquement nuancée, y compris s’ils sont dans le camps des mafieux. Je pense à Semyon qui, après seulement deux épisodes, semble déjà en perte de contrôle. Mais le Maire de Vinci, Austin Chessani (l’excellent Ritchie Coster déjà vu dans Luck), est lui aussi, même si dans une moindre mesure, affublé d’une prise de position défendable (tout est relatif).
En résumé, Pizzolatto délaisse le pourtant populaire combat entre le bien et le mal – deux policiers contre un tueur amateur de bois de cerf – et s’intéresse à un vide démocratique bien réel localisé aux portes de LA et ce avec des protagonistes aux positions floues.
On comprend mieux alors l’accueil critique chafouin d’une saison 2 qui s’empare pourtant d’une réalité locale brûlante… à moins que la situation de Vernon soit un sujet qui ne surprend que le téléspectateur européen !

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D’autre part, on retrouve ici une certaine verve de l’auteur. Jugez plutôt :

Ray : “What’s with all the knives?”
Ani : “Could you do this job if everyone you encountered could physically overpower you?”
[…]
Ani : “Fundamental difference between the sexes is that one of them can kill the other with their bare hands.”
Ray : “Well, just so you know, I support feminism. Mostly by having body image issues.”

Avec cette dernière réplique, comment ne pas penser aux critiques émises la saison passée sur la faiblesse des personnages féminins ?! Antigone Bezzerides est une réponse cinglante à ces détracteurs. Oui, c’est une femme de volonté mais c’est surtout un homme déguisé en femme qui fume (enfin vapote), s’emporte la plupart du temps de manière autoritaire, prend le volant, est constamment armée, mate du porno, etc.
Cette posture qui consiste à dénoncer une pauvreté de la représentation féminine (souvent fondée d’une manière générale) est, en ce qui concerne True Detective, un gigantesque coup d’épée dans l’eau. Car si le regard de Pizzolatto est fixé sur les hommes, il n’en est pas moins acéré et impitoyable. C’était déjà le cas la saison passé, et c’est encore un peu plus vrai cette saison avec les déboires de Velcoro et Woodrugh. Les deux flics sont martyrisés en ce qui concerne leur attributs masculins dominants. L’un est en passe de perdre sa paternité et l’autre serait impuissant…
La saison 1 faisait immerger le salut par l’amitié entre ses deux personnages principaux. Il sera intéressant de voir si cette réflexion sur la masculinité trouve ici la même issue.

Enfin, je ne vous cache pas un certain désarroi vis à vis de ce final. Outre le fait que je ne crois pas un seul instant à cette mort de Velcoro (voir ces photos sur le tournage). Je ne vois pas l’intérêt dans ce récit de chacun des deux cas de figures qui s’offrent à nous. S’il s’avère qu’il n’est effectivement plus de ce monde, le parcours de Velcoro n’aura été que frustration devant une rédemption que l’on aura même pas eu le temps d’entrevoir. S’il survit à ce guet-apens parfaitement exécuté, la ficelle sera forcément trop grosse pour être réaliste. Comment peut-il en réchapper sans que cela ne soit grossier ?!

Réponse dimanche prochain (et lundi soir sur OCS quant à nous) pour en avoir le coeur net !

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Quelques théories (souvent en provenance de Reddit) :

  • Le passé de Woodrugh dans une escouade de “mercenaires” de la sécurité en Irak confirmé (Black Mountain), on s’interroge désormais sur ses préférences sexuelles. On avait peut être un peu trop vite jugée son impuissance à l’aune de son passé militaire. La manière insistante avec laquelle il observe un couple homosexuel déguisé puis un autre jeune éphèbe pourrait indiquer qu’il a tout simplement un penchant pour les hommes.
  • Chessani, Austin de son prénom, le maire de Vinci évoque indirectement deux personnes lors de sa conversation avec Frank qui auraient, semble-t-il, des motivations suffisantes pour endosser le rôle du tueur. Il cite le prédécesseur de Frank au Casino, un certain Gene Slattery sans plus de détails. Et puis il parle de son fils comme étant décevant et destructeur. La suite nous dira si ceux sont des fausses pistes.
  • Pizzolatto est un écrivain, je ne vous apprend rien. La présence de livres entraperçus brièvement n’est donc jamais fortuite. Les « théoristes » – pardonnez moi le terme – ont été très sensible aux lectures d’Ani que l’on voit très rapidement dans l’épisode précédent. Il y a notamment Hagakure écrit par Yamamoto Tsunemoto. Ce manuel du Samouraï est un précis expliquant le « Bushido », le mode de vie du combattant. Il précise aussi comment mourrir… Le goût d’Ani pour l’arme blanche colle parfaitement avec cette philosophie. Mais ira-t-elle jusqu’au sacrifice ?!
  • Le plan d’ouverture – rappelez vous de ce champs empli de petit poteaux étranges – a sûrement une signification importante. Hors on apprend dans ce deuxième volet que des transactions concernant des terrains pour le corridor du rail de Semyon n’ont pas eu lieu comme attendues. Au jeu des suppositions, on imagine assez facilement que ce bout de terre a été pollué. Mais si on devait aller plus loin, ne pourrait-il pas s’agir d’un charnier improvisé ? Voilà qui poserait effectivement de gros problème dans le cas de l’ouverture d’un chantier.
  • Pour l’instant légèrement en retrait, le culte des « Good People » est sûrement à surveiller. Car avec cet épisode, un lien le relie désormais avec l’affaire Caspere. Le Dr Pitlor qui suivait ce dernier a connu Elliott, le père d’Ani. Rappelons qu’on retrouve ici un thème de choix de la série : l’opposition farouche de l’auteur face aux prédicateurs et autres illuminés !

Observations diverses :

  • Les choses évoluent à Vernon. Un reportage du LA Times nous explique notamment que la population de la ville va doubler ! En même temps, Un autre témoignage souligne la fidélité de la reconstitution et en particulier la disparition étrange du « City Manager ».
  • L’ex-femme de Ray Velcoro – qui se nomme Gina – est interprétée par Abigail Spencer (Mad Men, Rectify). Le Dr Pitlor est, quant à lui, endossé par l’artiste Rick Springfield (si, si, lui-même !).
  • A l’occasion de la première saison, on n’avait pas manqué de souligné que Pizzolatto était en quelque sorte le régional de l’étape pour avoir grandi en Louisiane. C’est un peu le cas aussi pour la Californie puisqu’il réside désormais à Ojai qui se trouve notamment dans le comté de Ventura, la juridiction de Bezzerides ! Une partie des lieux de tournages sont listés ici.
  • La phrase peu commune prononcée par Semyon : »It’s like everything’s papier-mâché » serait une référence à Twilight Zone (La Quatrième Dimension). Elle est prononcée dans l’épisode intitulé « Stopover in a quiet town » de la fameuse série d’anthologie (au deux sens du terme !).

Visuels : True Detective / HBO / Anonymous Content / Lee Caplin / Picture Entr. / Passenger