Au coeur du “Système”, Gomorra saison 1

(Sky Italia) saison 1 en 12 épisodes diffusés sur ARTE* à partir du 8 octobre,
saison 2 actuellement en tournage
GOMORRA Episode 5

La fiction italienne semble avoir une préférence pour la déclinaison à partir d’une base solide. Avant d’être une série, Romanzo Criminale était d’abord un roman (Giancarlo De Cataldo), puis un film (Michele Placido). C’est aussi le cas de Gomorra dont il question ici et qui avait d’abord fait l’objet d’un livre (Roberto Saviano) et d’un film (Matteo Garrone). Enfin, ce sera aussi le cas de Suburra, adaptation du roman du même nom (écrit là encore par De Cataldo) dont l’adaptation pour le cinéma (Stefano Sollima) sortira prochainement avant l’adaptation sérielle pour le compte de Netflix qui lance justement son service ces jours-ci en Italie (22 Oct.)
Avec Gomorra, le processus d’adaptation s’apparente plus à une réduction de son matériau original. Le résultat reste néanmoins très efficace.

Le clan Savastano dirige l’une des principales entités mafieuses de Naples. Don Pietro, le chef de famille, tente d’inculquer à son fils, Gennaro, les ficelles du métier. Ce dernier est encore très loin de marcher dans les traces de son père. Alors Don Pietro charge Ciro, son lieutenant “immortel”, d’insuffler à son rejeton la stature nécessaire…

Le mot camorra n’existe pas, c’est un mot de flics, utilisé par les magistrats, les journalistes et les scénaristes. Un mot qui fait sourire les affiliés, une indication vague, un terme bon pour les universitaires et appartenant à l’histoire. Celui que les membres d’un clan utilisent pour se désigner est Système : “J’appartiens au Système de Secondigliano.” Un terme éloquent, qui évoque un mécanisme plutôt qu’une structure. Car l’organisation criminelle repose directement sur l’économie, et la dialectique commerciale est l’ossature du clan.
Extrait de Gomorra, dans l’empire de la Camorra par Roberto Saviano.

En 2006, le journaliste Roberto Saviano publie Gomorra, une description complète et brute de fonderie du milieu napolitain en citant inlassablement le nom des parrains impliquées. Cette publication, parce qu’elle est remarquablement exhaustive et surtout parce qu’elle brise la sacro-sainte loi du silence, lui vaut depuis de nombreuses menaces de mort.
Aujourd’hui, Saviano** est devenu un emblème. Ses postures de pourfendeur de la mafia au sens large agacent et ses ouvrages sont régulièrement accusés de plagiat. Gomorra est toutefois un récit nécessaire d’une réalité qui devait être étalée au grand jour, par un natif de Naples pour le moins courageux.

En 2008, Gomorra devient un long métrage. Le film mis en scène par Matteo Garrone est distingué par le Grand Prix du Jury cette année là. Il opte pour une approche transversale du système camoriste assez similaire à l’enquête de Saviano en s’intéressant à une brochette de personnages du jeune adolescent qui fait tout pour s’embrigader jusqu’au responsable peu scrupuleux d’une société d’enfouissement de déchets toxiques.

Mais Gomorra – habilement augmentée des mots “La Serie” – n’est pas une adaptation du film. Si le regard clinique sans parti-pris perdure, les sujets des deux adaptations sont parfaitement distincts. Le film faisait – sûrement volontairement – le choix de ne pas s’intéresser directement aux mafieux. La série repose quand à elle presque exclusivement sur la hiérarchie dominante du clan, même si, au fil de la saison, les épisodes permettent de s’attarder sur quelques seconds couteaux (le conseiller financier de Milan dans l’épisode 5 par exemple).

C’est le principal reproche que l’on peut faire à ce transfert sériel. En réduisant singulièrement son champ d’action au seul entourage immédiat des Savastano, on perd de vue le regard global du récit de Saviano. Il y a bien quelques apartés comme l’escapade en Espagne (ép. 6) qui s’inspire de l’ouvrage original (l’exil d’un clan sur la Costa Brava) mais il manque notamment une emprise sur l’enrôlement de la jeune garde, son absorption inéluctable. Elle fait l’objet d’une brève pastille de transition ici alors qu’elle constitue l’une des trames les plus fortes du film.

Néanmoins, Gomorra ne s’enferme pas dans les enjeux de gangsters. L’ouverture de la saison est en cela une fausse piste. Passés les règlements de comptes des premiers épisodes, les affrontements sont relégués au second plan. Le récit est dynamique et s’offre des détours bienvenus comme une embardée carcérale très réussie.
Mais plus intéressant encore, le personnage de Donna Imma (Maria Pia Calzone) offre un changement de point de vue remarquable à mi-saison. Sa détermination et ses convictions de gestionnaire aguerrie permettent un contraste saisissant.

Cette saison est majoritairement réalisée par Stefano Sollima (Romanzo Criminale). Sans obtenir la proximité et la beauté du travail de Garrone, il parvient à sublimer un territoire pourtant peu accueillant. Le passage obligé au milieu des grands ensembles pyramidaux du quartier de Scampia est fascinant et confère à Gomorra une ambiance urbaine singulière.
Cette même ambiance est appuyée de façon magistrale par une bande son parfaite entre les compositions originales du groupe Mokadelic et une supervision musicale inspirée***.

Gomorra, troisième du nom, n’est donc pas un avatar supplémentaire de l’univers mafieux à la Coppola. C’est une introduction viscérale dans les arcanes du “Système”, cet ensemble aussi tentaculaire qu’évanescent.
Récemment, Saviano pointait du doigt la mairie de Giugliano (N-O de Napoli) parce qu’elle refuse d’y permettre le tournage de scènes pour la saison 2. Gomorra, la série, est une fiction mais elle dérange désormais tout autant que le livre dont elle est issue.

Visuels & Vidéo : Sky Italia, Cattleya, Fandango, Beta Film, La7


 

* : A noter que Gomorra avait déjà fait l’objet d’une diffusion sur Canal+ début 2015.
** : Le journaliste Roberto Saviano est parfaitement introduit par cet entretien vidéo du côté de chez Rue89.
*** : Je n’ai pas pris le temps de faire de ce texte une entrée supplémentaire dans ma chronique musicale mais puisque vous insistez, allez donc écouter Franco Ricciardi et Granatino visiblement très appréciés par Ciro !

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