Le souffle de l’histoire

Au sujet de Victor Hugo, Ennemi d’État, minisérie en quatre parties diffusée sur France 2 (Replay) les 5 et 6 novembre.

En ce jour du 11 novembre, il y a une forme de logique à évoquer le format historique. Je ne vais toutefois pas vous parler de la grande guerre mais plutôt de Victor Hugo, à l’honneur¹ cette semaine. Alors oui, France 2 n’a pas habillé son Hugo comme Canal+ habillait avec opulence le roi soleil dans Versailles, ils ne boxent définitivement pas dans la même catégorie. Mais ce que cette minisérie nous dit du personnage et de l’évolution de ses convictions en font un fabuleux précipité d’histoire !

De l’importance de son sujet

Je dois l’avouer : le rôle historique de l’auteur m’échappait. La pertinence de cette minisérie trouve donc immédiatement son intérêt. On a tendance à compartimenter ses références et j’avais grossièrement rangé l’auteur des Misérables au rayon hommes de lettres. Il est question du roman dans Victor Hugo, Ennemi d’État mais, comme le titre l’indique, l’essentiel va tourner autour de son rôle politique. Et là, à la lecture de ce dernier adjectif, votre œil se dilate ! Vous vous dites : « Quoi ?! une série historique… au contenu politique ?! sur France 2 ?! » Oui, mais ce n’est pas tout. Figurez-vous que l’intrigue se concentre sur trois petites années de la vie de l’écrivain.

C’est tout à l’honneur des auteurs (Sophie Hiet et Jean-Marc Moutout, lequel réalise également ces épisodes) ainsi que de leur productrice (Iris Bucher) que d’avoir restreint ces quatre épisodes à cette période précise de la vie d’Hugo. On échappe ainsi au syndrome du biopic qui se perd dans un survol sans substance de l’enfance au trépas.

Les auteurs signalent ici la force de leur sujet et font prévaloir une ambition courageuse en ne se laissant pas éblouir par le clinquant de l’un de nos plus grands auteurs classiques.

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Le fait historique

En 1848, Victor Hugo est élu député et siège à l’assemblée dans laquelle il défend le parti de l’ordre, tout un programme. La Seconde République cherche, bien entendu, à s’éloigner de la monarchie mais son parti reste très royaliste et conservateur. Il contribue notamment, fin 48, à la mise en place d’un président en la personne de Louis-Napoléon Bonaparte.

Mais en décembre 1951, le même Bonaparte (le fils donc, dit « le petit ») fomente un coup d’état, le mandat de quatre ans du président qu’il est ne lui suffisant plus. Le Second Empire sera proclamé l’année suivante. Entre temps, Victor Hugo est devenu un farouche opposant. Il s’assoit à gauche dans l’hémicycle et défend avec ferveur le suffrage universel ou bien encore l’éducation laïque. Comment expliquer ce changement de position ? C’est tout l’objet de cette minisérie qui ce faisant, à travers l’évolution d’Hugo, décrit une période charnière de l’histoire de l’état.

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Là où le bât blesse

L’amateur de récit historique que je suis est comblé. Mais le surplus de difficulté quant à la production d’une telle reconstitution apparaît ici de manière flagrante. Le défi qui consiste à créer l’illusion d’un Paris circa 1850 est une gageure de taille et Victor Hugo, Ennemi d’État s’y confronte de plein fouet.

Les extérieurs ont été tourné en Dordogne² mais ils font la part belle à quelques ruelles pavées bien étroites. Elles ont leur charme mais tout cela donne le sentiment d’escarmouches de quartier. Les décors conviennent à leur époque mais tout ceci manque cruellement d’ampleur pour appuyer le propos.

Les intérieurs, par contre, sont plus convaincants. Les séquences à l’assemblée sont tout simplement puissantes. Les discours d’Hugo au perchoir m’ont fait une forte impression et pas seulement parce qu’ils gardent la saveur d’une actualité saisissante. J’avais la chair de poule en l’écoutant dire :

Voyez, Messieurs, comme ce qui est profondément juste est toujours en même temps profondément politique : le suffrage universel, en donnant un bulletin à ceux qui souffrent, leur ôte le fusil. En leur donnant la puissance, il leur donne le calme. Tout ce qui grandit l’homme l’apaise.

Le suffrage universel dit à tous, et je ne connais pas de plus admirable formule de la paix publique : Soyez tranquilles, vous êtes souverains. (Source)

La performance de Yannick Choirat, dans le rôle titre, est remarquable. Il insuffle à la fois la fragilité et l’aplomb d’un personnage qui n’hésitait pas à remettre en question ses certitudes. Un personnage de contraste qui s’employait également au romanesque dans sa vie amoureuse et familiale, sans y faire preuve d’une très grande maîtrise d’ailleurs.

Des enjeux contemporains

On découvre alors le Victor Hugo volage, malhonnête avec sa femme et ses conquêtes. Et la minisérie d’évoquer l’émancipation de la femme, notamment par le combat qu’elles mènent alors pour obtenir le statut du divorce, personnifié ici par Léonie d’Aunet (Erika Sainte).

Les dynamiques politiques sont étrangement proches de notre contexte contemporain. Les échanges à l’assemblée sont furieusement actuels comme ce député conservateur qui explique que l’électeur ne peut être un « vagabond ».

Il est intéressant aussi de voir comment Bonaparte neutralise la presse d’opposition, dont le journal l’Evénement de Victor Hugo, qui vaudra à ses fils la prison. Sans aller aux mêmes issues, cette défiance vis à vis de la contradiction d’idée évoque de manière assez claire l’attitude de certains dirigeants actuels dont ce monsieur orange aux cheveux fous (inutile de le nommer) !

Cette Victor Hugo, Ennemi d’État n’est par parfaite mais elle fait figure d’exemple à suivre. Elle exprime l’histoire avec justesse et marque les esprits d’aujourd’hui. On lui fera peut être le procès d’être formellement ampoulée (bien qu’une belle et moderne bande son³ l’accompagne), elle n’en garde pas moins l’opiniâtreté de son personnage.


1 : Le service public proposait en effet un dispositif qui, en plus de cette minisérie, comprenait notamment un documentaire consacré à l’auteur sur France 5 ainsi qu’une adaptation de Torquemada sur France Culture, pièce de théâtre publiée à titre posthume en 1886.

2 : Iris Bucher (productrice et créatrice) évoque plus précisément Bergerac et Périgueux dans un entretien pour Allociné.

3 : la bande son signée Etienne Forget peut s’écouter sur Spotify.

Visuels : Victor Hugo © Denis Manin / Quad Télévision / Point du jour / FTV

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