De l’importance du thème

Comme chaque année au moment de noël, je vous propose mon point de vue — accompagné de la playlist qui va bien — sur l’état de la bande son originale sérielle au regard de l’année écoulée. Quantitativement, on est dans la continuité d’une année précédente qui, pour sa part, se signalait par un bond exceptionnel. Mais la vivacité et l’amplitude de ce cru 2018 fascinent. Et ce dernier de proclamer une liberté qui me pousse à questionner la nécessité des carcans du thème central.

Fade in

Mais commençons par les réjouissances. Voici donc cette playlist* soigneusement assemblée par mes soins. Bonne écoute :


Une somme de 68 titres donc, très hétéroclite, où ne domine pas forcément le genre classique d’ailleurs. Vous devriez y reconnaître quelques habitués comme Cristobal Tapia de Veer (Utopia) ou l’infatigable Jeff Russo (Fargo). Vous constaterez surtout qu’une bonne partie des compositeurs représentés sont des artistes multi-instrumentistes que la large palette de talents semble convaincre pour accompagner un contenu sériel souvent très vaste. Mais cela suppose d’assumer un choix créatif qui repose sur la variation. Hors peut-on justement affirmer que le pluralisme musical fait une bande son pertinente ?

La préférence au motif

Fixer un thème, soit imposer un cadre ou un faisceau de règles pour définir une direction musicale gouvernant ensemble ou partie d’une bande son, constitue à priori le moyen le plus simple d’instaurer une ambiance musicale rémanente. L’exercice de la série s’est souvent appuyé sur ce marqueur, surtout dès lors que le facteur répétitif a son importance. La/le sériephile vous le dira : la variation dans la sérialité créé toute la saveur du rendez-vous mais dans ce cadre précis, la composition originale a très souvent vocation à servir de support immuable. Et puis, avouons le, lorsque vous avez une pépite de Quincy Jones (Ironside / L’homme de Fer) pour ouvrir votre épisode, ne pas décliner à partir de cette icône instantanée serait absurde.

Mais la création musicale, c’est aussi l’expression d’une direction artistique. L’essor du soin apporté à la confection formelle d’une série se signale aussi par des choix forts en matière de musique. Cela peut se traduire par la cohabitation de compositions très distinctes, parfois dans le but de caractériser un unique personnage. l’intérêt du choix d’un artiste multi-instrumentiste devient alors fondamentale.
Puis, en grossissant encore un peu plus la loupe, on s’aperçoit que la continuité peut ne concerner qu’un détail sonore, ou motif. Une pièce simple, ici l’usage d’un instrument spécifique, là un petit enchainement caractéristique de batterie. L’usage du motif peut sembler très subtil sur le papier mais, en pratique, il peut s’avérer parfaitement significatif. Citons par exemple le jeu de percussions développé par Jeff Russo dans Fargo pour accompagner Numbers et Wrench, dont la spécificité un brin cocasse est reconnaissable immédiatement.

Thème et motif ne s’opposent pas nécessairement et constituent les fondamentaux de la création musicale depuis toujours. La liberté de leurs usages pour accompagner le format sériel contemporain signalent néanmoins toute la vitalité de leur support. Démonstration concrète avec deux bandes son que j’ai particulièrement affectionné cette année.

Trust par James Lavelle

Lakeshore Records

Trust est une série de Simon Beaufoy en partie réalisée par Danny Boyle qui raconte les frasques de la famille Getty dans les années 70. A partir de l’enlèvement du petit fils de la famille « dirigée » par le patriarche, riche magnat du pétrole, le récit se déploie en circonvolutions et détours improbables tous plus surprenants les uns que les autres. L’une des toutes meilleures séries de l’année ! Avec une certaine forme de logique, l’attelage anglais a confié le soin de confectionner la bande originale à un compatriote : le londonien James Lavelle.

Lavelle est une pointure de la scène électronique, notamment fondateur du label Mo’Wax (Portishead, Tricky) et membre principal du collectif Unkle. Avec Trust, par la force des choses, il épouse les moult univers de la série tout en souscrivant à l’utilisation du thème à direction des personnages. Une partie d’entre eux obtiennent ainsi leur propre morceau, assorti éventuellement d’une ou deux variations. L’ensemble représente un travail admirable de continuité en épousant la géographie très variée de la série.
En écoute sur Deezer ou Spotify.

Ad Vitam par HiTnRuN

Editions Musicales François 1er & Hypertunes

Au sein d’un cru sériel français convaincant en 2018 (notamment en fin d’année), Ad Vitam était une proposition ambitieuse de Thomas Cailley et Sébastien Mounier. L’hypothèse selon laquelle l’humanité a trouvé comment vaincre la mort et, se faisant, dénigre sa jeunesse. Un récit d’anticipation pertinent et soigné qu’une remarquable bande son soulignait avec constance. Un travail signé HiTnRuN (à ne pas confondre avec l’album de Prince).

Le trio (Lionel Flairs, Benoit Rault, Philippe Deshaies), déjà conviés sur Les Combattants du même Thomas Cailley, signe ici un Score à dominante électronique où c’est moins la persistance du thème qui prévaut mais l’usage de motifs comme ce principe de rythmique qui revient sur plusieurs titres après avoir été introduit sur le morceau d’ouverture. L’importance du design sonore participe pleinement à la construction formelle, d’autant plus qu’il s’agit ici d’anticipation. Le travail des HiTnRuN est parfaitement brillant pour être indissociable des six épisodes de la série (dont j’espère, au passage, qu’elle pourra continuer).
En écoute sur Deezer ou Spotify.

Fade out

Que voilà une belle année musicale que l’on regardera/écoutera désormais dans le rétroviseur, mais pas systématiquement, puisque la beauté du format sériel est justement son caractère cyclique. N’hésitez pas à partager en commentaire vos coups de cœur de l’année.


* : l’essentiel de cette sélection est daté de cette année. les publications de ces soundtracks ne sont néanmoins pas toujours synchrones avec leurs séries associées. Le score de la saison 1 de The Sinner a seulement été rendu disponible cette année, bien que c’est la saison 2 que nous avons pu découvrir cette année, par exemple.

Visuel : Trust / Leo Norbert Butz (Gordon Getty) © Oliver Upton/FX

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