(Channel 4) 6 épisodes en saison 1 et saison 2 prévue –
Je ne vais pas subitement me présenter devant vous dans les habits du spécialiste de la production anglaise ! Je surveille assidûment les créations british depuis bien trop récemment pour y prétendre. J’ai tout de même le sentiment que 2013 était un grand cru. Des séries comme In the Flesh, Southcliffe ou bien Peaky Blinders m’ont profondément marqué cette année. J’ai choisis de retenir Utopia mais ne vous y trompez pas, la vitalité de nos amis anglais est plus que jamais d’actualité.
L’année dernière, j’avais souhaité distingué un episode en particulier dans le cadre de la rétrospective 2012 (le pilote d’Awake). Cette année, je n’attribuerai pas cette mention spéciale (oui, je me la joue un peu…) mais elle aurait très bien pu être remise à un épisode d’Utopia (le premier sans doute avec la fameuse scène dont je ne dirai rien ici). Avec un récit contemporain et surprenant, un casting qui fait de belles choses malgré le grand écart imposé et surtout une réalisation brillante accompagnée d’une musique originale inspirée, Utopia est le casse parfait, tout simplement.
Un étrange groupe de nerds tendance asociale décident de se retrouver suite à une discussion sur un forum. Passionnés par l’univers d’un obscur roman graphique, leur rencontre va les projeter dans une cavale dramatique. Alors que l’un d’entre eux met la main sur un manuscrit du deuxième tome, une étrange organisation aux méthodes expéditives surgit de nulle part pour s’en emparer…
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On pensait être complètement vacciné. Le simple mot « conspiration » devait nous faire détaler comme des lapins. Et pourtant Utopia parvient à planter un récit de multinationale tentaculaire avec une simplicité désarmante. Comment est-ce possible ? Essentiellement grâce à deux artifices. La série est organisée sur la base d’un thriller à suspense très efficace et puis, tous les aspects, personnages et situations, ont au moins une facette décalée qui permet de les représenter sur le registre du burlesque. Dit ainsi, cela n’a l’air de rien, mais cela fait toute la différence.
On doit l’intégralité de l’écriture sur cette saison à Dennis Kelly. Kudos (la société qui produit la série) était venu le trouver avec l’idée du comics renfermant la clé d’une conspiration et Kelly, séduit par l’idée, s’est emparé du sujet sans trop savoir dans quelle direction il allait, afin de créer naturellement du rebondissement.
Kelly a commencé sa carrière en tant qu’auteur pour le théâtre (il faisait d’ailleurs ses débuts à l’affiche du Royal Court de Londres en septembre dernier, ce qui représente une belle consécration dans la profession). Utopia s’inscrit justement dans une tradition très anglaise qui consiste à détourner des sujets sombres en situations saugrenues. En découvrant les épisodes, on discerne facilement combien il prend plaisir à passer du dramatique au désopilant sans transition.
Les actrices et acteurs de la série devaient donc pouvoir alterner tout cela. Le casting est tout à fait varié mais je retiens surtout la performance de deux d’entre eux. Fiona O’Shaughnessy (Jessica Hyde) tout d’abord dans un rôle ou elle apparaît implacable et séduisante à la fois. Et puis, la révélation de la série en la personne de Neil Maskell (Arby) qui passe d’un registre de tueur façon Tarantino aux mimiques d’un Charlie Chaplin.
Alors que j’écris ces lignes, près d’un an après avoir vu la série (les épisodes ont été diffusés du 15 janvier au 19 février), de nombreuses images me reviennent en tête. Les plans d’une beauté rare ne m’avaient pas laissé indifférent et j’avais tenté, dans le cadre de cette colonne d’en extraire quelques captures.
Pour bien comprendre (si vous avez déjà vu la série, une petite piqûre de rappel ne vous fera pas de mal), je vous propose de regarder les premières minutes de la série :
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On doit cette mise en scène à Marc Munden. Ce dernier a d’abord imposé un cadrage plus fin que le 16/9. On pourrait penser que ce choix ne change pas grand chose et pourtant si. Car Munden va ensuite proposer de nombreux plans larges dans lesquels ces personnages apparaissent en conséquence un peu perdus. Ce format n’est donc pas gratuit et on pourra également constater (notamment dans l’extrait ci-dessus) qu’il se sert de l’espace ainsi créé pour utiliser le second plan pleinement.
Mais ce qui frappe dans le travail de Munden, c’est son utilisation d’une palette de couleurs très pop et plus généralement leur saturation. L’herbe est d’un vert presque surnaturel, le sac jaune n’a vraiment rien de discret et le jogging rose fait presque mal aux yeux. Là encore, cette esthétisme est significatif. On pense à une tentative de composition proche de l’univers de la bande dessinée mais Munden s’en défend en préférant y voir un contrepoint au sujet lui même qui n’est pas vraiment rose. Il est en cela parfaitement synchrone avec l’idée de départ de Dennis Kelly.
Munden ne s’est pas contenté de cela. C’est lui qui a imposé Cristobal Tapia de Veer pour la bande son est le résultat sonore est aussi éblouissant que la performance visuelle. Originaire de Santiago, Cristobal est un compositeur de musique électronique toujours en recherche de sons peu communs (il a utilisé d’authentique os humains pour enregistrer certains d’entre eux, ne me demandez pas pourquoi…). Le rendu est final est tout à fait singulier et correspond étroitement au travail de Munden. Je vous propose d’écouter quelques extraits :
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Pour qualifier la richesse formelle d’Utopia, je ne vois pas d’autre adjectif que sublime ! La série constitue pour cela un exemple fort afin de démontrer que le cinéma indépendant novateur n’est plus un lieu d’exception. La série n’aura d’ailleurs pas brillé par ses audiences en Angleterre. Beaucoup auront eu beau jeu d’avancer un certain relâchement de l’intrigue après deux ou trois épisodes. Ce découragement aura plus vraisemblablement été la conséquence de choix esthétiques forts (de long plans, des personnages parfois mutiques, etc). Pour ma part, j’ai trouvé que le récit se tenait. Je ne vois pas grand chose à redire dans cette lecture ambitieuse d’une société contemporaine mangée à la paranoïa technologique ; thème qui la rapproche d’ailleurs de l’excellente Black Mirror.
On comprend aisément qu’Utopia intéresse un certain David Fincher en compagnie d’HBO (selon Munden dans cet article du Daily Mars). Fincher n’a sans doute pas été insensible au travail de Munden et encore moins au sujet controversé agrémenté de quelques passages violents.
Je suis par contre très dubitatif quand au renouvellement de la série. Les six premiers épisodes étaient pour moi parfaits, formant un tout bien agencé et je vois difficilement comment l’aventure pourrait se prolonger…
Quoi qu’il en soit, on ne pourra plus ignorer qu’en six épisodes, Utopia s’est imposée comme une référence !
Visuels & Vidéos : Utopia / Kudos / Channel 4
Pour avoir une vue d’ensemble sur cette rétrospective 2013, suivez ce lien !
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