(USA Network) saison 1 en dix épisodes et saison 2 prévue –
Le concept de torpeur estivale n’existe pas pour le sériephile. En fait, il se pourrait même bien qu’il fut témoin du plus beau coup de force de l’année durant cette chaude saison.
Qui est donc cet étonnant Mr Robot et comment parvient-il a imposer une spectaculaire dichotomie ?
J’ai écrit ce qui suit en faisant en sorte d’éviter toute révélation inutile. Si toutefois, vous préfériez éviter le moindre à priori, revenez lire ceci après avoir vu la saison.
Sans transition, l’univers de la série est immersif et c’est en grande partie grâce à la musique de Mac Quayle que voici :
Mac Quayle est un compositeur qui a le vent en poupe. Il fait partie des nominés aux prochains Emmys pour son travail sur American Horror Story : Freak Show et il compose actuellement pour Scream Queens qui arrive bientôt sur la Fox.
Son oeuvre est majoritairement électronique et si ce score de Mr Robot évoque l’excellente bande son de Cliff Martinez pour The Knick, ce n’est pas un hasard. Mac Quayle est en effet un disciple de l’ancien batteur des Red Hot Chili Peppers avec lequel il a travaillé pendant plus de 20 ans (notamment pour le compte de la filmo d’un certain Steven Soderbergh). Dès les premières notes, son atmosphère musicale accompagne parfaitement l’introspection du personnage et bénéficie d’une mise en avant rare pour le petit écran, où l’on a trop souvent la fâcheuse habitude de baisser drastiquement le volume de la bande son – qui plus est si elle est originale – dès l’instant qu’un personnage s’exprime. Au fil des épisodes, qu’elle soit l’oeuvre de Mac Quayle ou bien qu’il s’agisse de morceaux existants (Charlie Haggard signe la supervision), la musique est un vecteur à part entière de la série et la cohabitation n’en reste pas moins parfaitement fluide (CQFD).
Elliot Alderson nous plonge dans son univers. Celui d’un jeune homme renfermé qui partage sa vie entre son travail dans une société de sécurité informatique et un hobby plus répréhensible. Car comme son emploi le laisse supposer, Elliot est un orfèvre des réseaux et il n’hésite pas à se muer en hackeur pour réparer moult injustices qui l’entourent. Outre cette activité compulsive, Elliot parvient difficilement à contenir une certaine instabilité qu’il tente de juguler avec un cocktail morphine/suboxone. Tout cela jusqu’au jour où un drôle type, arborant un écusson “Mr Robot” sur sa veste, fait son apparition…
Son parcours n’étonnera plus personne aujourd’hui mais, oui, Sam Esmail – le créateur de Mr Robot – est un transfuge de plus en provenance du cinéma indépendant. Comme Lena Dunham, Jill Solloway ou bien encore les frères Duplass avant lui, Esmail est un cinéaste qui a fait ses preuves sur le grand écran indie et à qui – surtout – on a laissé les mains libres pour aller au bout d’une création personnelle et aboutie sur le format sériel.
La série est diffusée sur USA Network. Chez nos amis américains, les programmes de la chaîne sont communément qualifiés de “Blue Sky”. Sous-entendu qu’ils visent des sujets plutôt limpides et sans prises de tête mais aussi que leur mise en scène répond à des codes visuels des plus classiques.
Au delà de son récit déjà peu habituel sur la chaîne, Mr Robot fait tout simplement voler en éclat ces principes sur la forme. Si le soleil de New York est parfois bleu dans la série, le travail sur la lumière et plus particulièrement l’agencement des cadrages dénote singulièrement (voir captures ci-dessus). Le placement des personnages est décentralisé au maximum avec, lors des dialogues, une tendance à privilégier les regards fuyants vers les extérieurs proches. Le procédé – qui va à l’encontre des conventions en la matière – renforce un caractère de solitude et vient appuyer le propos d’un système qui écrase les protagonistes. Au delà de ces choix formels, le caractère étrange du regard porté sur Elliot est la conséquence directe d’une mise en scène de sa pensée. En se confiant en voix off, le personnage de Sam Esmail rejoint une longue tradition de narration pas toujours très heureuse. Non seulement Mr Robot use et abuse de ces apartés mais ils sont volontairement montrés à l’image. Inutile de vous dire que filmer un acteur qui pense constitue la hantise de tout bon réalisateur qui se respecte mais l’écueil se transforme en coup d’éclat, de par le talent de l’acteur – le brillant Rami Malek (Elliot) – mais aussi de par la volonté de l’isoler à l’image.
Et puis je soulignais l’importance accordée à la musique dans la série mais c’est toute la gestion sonore qui est remarquable. Il y a notamment une utilisation des temps statiques qu’on observe habituellement du côté du seul cinéma d’auteur (je pense notamment ici à la fin traumatique de l’épisode 6).
“Hacking is less about the code and more about finding the vulnerabilities.” (Sam Esmail)
Alors que les hacks spectaculaires et médiatiques (Sony, Ashley Madison) se succèdent, il devenait urgent d’aborder la question avec précision et de pouvoir enfin tirer un trait sur une longue tradition de représentations partielles ou déformées du cyber criminel et/ou activiste ! Pour s’en démarquer Mr Robot aura pris bien soin d’éviter les sempiternelles interfaces bidons vite bricolées (pour ne pas trop ressembler à Windows ou OSX) mais bien d’utiliser des distributions Linux authentiques sur lesquelles Elliot tape de vraies commandes (et avec un peu plus de 2 doigts s’il vous plaît, Hello Halt & Catch Fire). Surtout, les situations et dispositifs sont bien réels comme l’attaque par déni de service du premier épisode ou l’installation d’une application de surveillance furtive sur mobile par Tyrell (ép.3) par exemples.
En fait, Esmail est ses collaborateurs ont tellement bien fait leur boulot que l’univers déployé reflète presque trop notre quotidien. Il y a bien sûr l’épisode final dont la diffusion a été reportée parce qu’elle intervenait après un drame survenu le jour même. Mais plus troublant encore si l’on se focalise sur le volet technique, on assiste au piratage d’un monospace familial (épisode 4) avant d’apprendre médusé, quelques jours plus tard seulement, que des journalistes (Wired) sont justement parvenu à prendre le contrôle à distance d’un jeep cherokee.
Toutefois, alors qu’elle tend vers un réalisme soutenu, Mr Robot se garde bien de saturer le téléspectateur sous un flux continu de lignes de commandes. En fait elle prend le parti de s’éloigner dès que possible des terminaux habituels pour s’intéresser à l’internet des objets et ses failles nombreuses. Du smartphone aux sytèmes de domotique connectés qui contrôle la climatisation en passant par les bornes wifi embarquées dans les voitures. Toutes ces innovations dont on raffole constituent un vivier de failles de sécurité et un biais formidable pour permettre à Esmail d’aborder le hacking simplement.
Du reste la série n’épargne pas l’humain. Nous sommes les premiers fautifs avec nos mots de passe simplistes, notre facilité à prêter un téléphone au premier venu et ces réseaux sociaux sur lesquelles nous déversons tout notre vie les yeux fermés.
Une opposition de conscience fondamentale
En cela, Mr Robot est une critique frontale des applications de partage. Ce réquisitoire est concomitant avec l’attitude d’Elliot, sa méfiance (ou clairvoyance selon le point de vue) des réseaux et plus généralement sa réticence au contact humain. Ses monologues construisent l’image d’une personnalité à teneur individualiste exacerbée. Il ne s’agit pas simplement d’une carence sociale mais bien d’un comportement qui confine au nihilisme et qui le conduit à chercher naturellement le mal chez l’autre et, par extension, à ignorer le reste, comme lorsqu’il redécouvre qui est vraiment Shayla, sa voisine, pourtant l’une de ses rares connaissances qu’il semble apprécier.
A contrario, ses actions démentent farouchement cette pensée supposée. La succession de ses actes est toujours désintéressée au plus haut point (Il refuse catégoriquement l’argent du patron de café). De même, l’objectif de fsociety qui consiste à effacer l’ensemble des dettes bancaires le démontre de plus belle manière encore. Il n’est pas question de détruire Evil Corp. (même si la possibilité existe) mais bien de redistribuer les richesses. Cet altruisme est d’autant plus renforcé qu’il contraste avec les attitudes des autres personnages entourant Elliot. Il y a bien sûr Tyrell – le glaçant Martin Wallström –, son double opposé, taraudé par une ambition démesurée mais, de manière plus subtile, les choix effectués par Angela (qui lui sont imposés) démontrent combien la société mène au chacun pour soi.
Altruisme et individualisme s’affrontent donc au sein de Mr Robot et ce jusqu’à la racine du récit ! Sam Esmail et ses scénaristes semblent en effet confronté à la même dualité. Doivent-ils donner de leur personne et continuer sur la voie d’un pamphlet contre notre société et ses dérives ou bien faut-il se regarder le nombril et prendre le risque de déformer Elliot sous des prismes empilés ?!
Vous devinez sûrement ma préférence mais parce qu’il avait imaginé Mr Robot comme un film au départ, Esmail semble avoir son point de chute. Cette certitude d’une fin renforce encore un peu plus la trajectoire d’une série déjà remarquable !
Visuels & Vidéo : Mr Robot / Universal Cable Prod. / USA Network
Un avis sur « Chemins relatif et absolu, Mr Robot s01e10 »