Saison 1 visible sur OCS (rediffusion à partir du 9 août)
Dans la foulée de percées spectaculaires – je pense à Cliff Martinez pour The Knick ou bien Mac Quayle pour Mr Robot –, l’emploi d’une bande son originale à teneur électronique est devenu très tendance sur le format sériel. En pratique, cela donne des exemples aussi variés que Giorgio Moroder (Himself en compagnie de Raney Shockne) pour un résultat hétérogène avec The Queen of the South (USA Network) et la paire Kyle Dixon et Michael Stein (issue d’un quatuor originaire d’Austin : S U R V I V E) pour une composition vintage inspirée avec Stranger Things (Netflix).
Auparavant, cette année 2016 aura été éclaboussée par le talent d’un… cinéaste, lequel se défend plutôt bien pour sculpter des ambiances sonores pénétrantes. Il le démontre avec The Girlfriend Experience, petit bijou doux-amer à ne pas rater.
Commencez donc par écouter le talent de ce compositeur, Shane Carruth :
Carruth est d’abord un metteur en scène indépendant. On le connait pour deux long métrages remarqués (Primer et Upstream Color) pour lesquels il a écrit, produit, réalisé, interprété et donc composé la bande son. Ce chantre du DIY* – c’est bien peu de le dire – s’est malgré tout révélé plus que performant à l’exercice du soundtrack.
A partir de là, rien ne le prédisposait à s’intéresser à un projet de série pour le compte de Starz. En fait, il se trouve qu’à la ville, Shane Carruth n’est autre que le compagnon d’Amy Seimetz qui co-écrit et co-réalise The Girlfriend Experience avec Lodge Kerrigan. La série offre donc un rare exemple d’implication en dehors de son œuvre cinématographique.
Je dois vous avouer très franchement que j’appréhendais cet instant précis où il me fallait essayer de coucher sur mon clavier l’intense émotion que je ressens en écoutant le score de Carruth pour accompagner les tribulations de Christine Reade (Riley Keough). Il faut dire que la tonalité musicale de ses compositions n’est pas simple à définir. A l’image d’une atmosphère froide et inhospitalière qui caractérise l’univers de Christine, les strates sonores assemblées par Carruth semblent, de prime abord, atones.
Mais, rapidement, son travail évolue au fil de variations – parfois très subtiles – et parvient à créer une structure organique accueillante, là encore, à l’image de la série. L’expérience qui consiste à recevoir cette musique absorbante est facilitée par deux facteurs encore bien trop rare dans les pratiques du sound-design pour le format sériel. D’une part, les compositions ne sont pas de simples ponctuations mais bien un accompagnement qui se prolonge au delà d’une simple scène, usant ainsi de modulations remarquables. Et puis, d’autre part, l’intensité musicale est soignée, finement mariée avec les dialogues de sorte que l’immersion soit totale.
Recréer plutôt que refaire
Cette merveille de bande son accompagne une série, elle aussi, admirable. Au départ, il y a un film éponyme de Steven Soderbergh qui date de 2009 avec l’actrice porno Sasha Grey dans le rôle principal. Plutôt que de retranscrire son film au format épisodique, Soderbergh confie l’adaptation à deux cinéastes indépendants (Seimetz et Kerrigan dont je parlais plus haut). Le duo écrit The Girlfriend Experience de concert et se partage la réalisation des épisodes. Soderbergh tenait à ce que le projet soit ré-imaginé par un homme et une femme. On pourrait alors penser que ce choix avait pour objectif de partager les points de vue mais il n’en est rien. Alors que le film original s’intéressait au compagnon de Christine, la série est exclusivement centrée sur son héroïne, l’actrice étant de presque tous les plans.
Cette adaptation conserve toutefois l’idée d’un équilibre. Si le long métrage de base insérait sa réflexion sur le rôle d’une escort girl vis à vis d’un contexte économique de crise, la série de Seimetz et Kerrigan recentre son récit sur la psychologie de son personnage. On découvre alors le paradoxe d’une jeune femme avare en contact humain, presque associale, qui se découvre dans l’acte consistant à donner du bien être (pas uniquement sexuel) à l’autre.
Le sujet de la prostitution n’a rien de neuf et pourtant The Girlfriend Experience développe une approche sensible et originale pour l’aborder. C’est d’ores et déjà l’un de mes coups de cœur de l’année.
Pour en savoir plus sur la série, je vous recommande une présentation écrite par mes soins sur le Daily Mars, webzine pour lequel j’officie désormais plus régulièrement que sur ce blog.
*: Do It Yourself (Fais le toi-même).
Référence : The Girlfriend Experience, un film de Steven Soderbergh (2009)
Visuels : TGE / Kerry Hayes © 2016 Transactional Pictures of NY LP. All Rights Reserved.