(Cinemax) saison 1 en 10 épisodes et saison 2 dès le 17 Oct. sur OCS –
Je dois vous l’avouer franchement : j’ai honte ! Honte d’avoir ignorer si longtemps dans cette colonne ce petit bijou apparu sur Cinemax – petite soeur d’HBO – au milieu de l’été, l’an dernier. Car à l’approche de son retour pour une saison 2, il faut se rendre à l’évidence, The Knick est l’un des trois plus beaux dramas nés en 2014 (les 2 autres étant True Detective et Fargo, belle brochette).
Alors oui, le récit de cet obscur hôpital newyorkais circa 1900 est glauque, cru et insaisissable comme la fumée d’opium mais il saura vous ensorceler, sens et conscience réunis.
Pour commencer, je ne vais pas y aller pas quatre chemins, Cliff Martinez, qui signe la bande son de The Knick donc, s’est fait volé aux derniers Emmys ! Non seulement il n’a pas remporté la statuette mais, comble du comble, il n’était même pas nominé… une véritable aberration car son travail constitue tout simplement la composition originale la plus remarquable qu’il m’ait été donné d’entendre ses dernières années. La preuve :
Une autre association musicale
Pour un peu, je m’en veux de vous proposer cette écoute si vous n’avez pas encore vu la série. Le choc sonore que représente cet anachronisme musical ne devrait pas être révélé en dehors de son contexte. D’ailleurs, Cliff Martinez lui-même n’était pas convaincu lorsque Soderbergh est venu le trouver avec cette idée. Le résultat est pourtant brillant de la première à la dernière note. Il tisse non seulement des volutes électroniques exubérantes mais il leur applique ensuite une science du filtre diabolique pour provoquer de multiples variations qui accompagnent à merveille les hauts et les bas de chaque séquence. Le résultat est tout simplement magistral.
Né dans le Bronx, Martinez présente un parcours peu commun. Batteur passé notamment par le groupe Captain Beefheart, il se fait véritablement un nom en exerçant pour les Red Hot Chili Peppers au milieu des années 80. Il met en suite rapidement le pied dans l’éléctronique et devient le compositeur atitré de Steven Soderbergh (dès Sexe, Mensonges & Vidéo).*
Le docteur John Thackery dirige les équipes de chirurgie à l’hôpital Knickerbocker (aka The Knick) de New York en 1900. Son implication est totale et ce même aux dépens de sa santé. Son équipe est toutefois déstabilisée par l’arrivée d’un jeune chirurgien émérite en provenance de Harvard qui se trouve être noir…
Une autre approche du drama médical
The Knick est d’abord une idée de Jack Amiel et Michael Begler. Le duo parvient à la consécration ici après une carrière conjointe dans un tout autre registre. En effet, dans les années 90, les deux jeunes scénaristes multiplient les piges pour différentes sitcoms de second plan (Herman’s Head, The Tony Danza Show). A l’orée des années 2000, ils parviennent à exercer leur art pour le cinéma en signant plusieurs scénarios de comédies sentimentales (Raising Helen, The Prince & Me). Mais le genre s’avère frustrant et le duo se passionne de plus en plus pour le petit écran.
Begler rencontre alors des ennuis de santé répétitifs. Il expérimente une large variété de traitements (médecine douce, orientale, etc) et la curiosité aidant, se plonge dans l’histoire médicale en compagnie de son compère. En cela, The Knick diffère fondamentalement d’une série médicale traditionnelle. Au delà du contexte historique, l’enjeu principal consiste à mettre en evidence les sciences chirurgicale et médicinale par le biais de techniques essentiellement empiriques.
Mais le duo n’écarte pas un contexte social dense, qui se trouve en l’occurrence situé lors d’une période sensible de l’histoire américaine. A l’aube du vingtième siècle le pays bascule rapidement vers l’industrie qui fera sa force. New York, justement, est submergée par une forte immigration. The Knick souligne cruellement les inégalités entres pauvres et riches, entre blancs et noirs, entre hommes et femmes.
Une autre idée de l’image
Ces distances sont justement trouvées à l’image par un metteur en scène précis et inventif : Steven Soderbergh. Avec la deuxième saison dont la diffusion se profile, celui qui a “abandonné” le cinéma aura tourné 20 épisodes à lui seul. Je dis “à lui seul” en connaissance de cause car un excellent reportage – signé Matt Zoller Seitz – nous apprend que Soderbergh cadre lui-même, inlassablement, jusque dans des positions inconfortables.
L’année dernière, on avait régulièrement distingué le fameux plan séquence dans la saison 1 de True Detective. Avec The Knick, Soderbergh en présentait pourtant une belle brochette, qu’ils soient à l’épaule ou en traveling. Surtout, il livre des cadrages somptueux du plan large désaxé au gros plan désarticulé. On retrouve également une patience en provenance d’un certain cinéma. Le montage permettant ainsi de s’attarder sur le jeu des acteur quand il est nécessaire.
Sans l’opulence des décors du Boardwalk Empire de Scorsese, Soderbergh insuffle un dynamisme et une beauté formelle inédite sur le petit écran.
Une autre répartition des rôles
The Knick semble donner l’impression de découvrir ses seconds rôles en cours de saison. Au centre de la série, Clive Owen règne en maître incontesté. Il a cette importance qui sont celles des personnages de films – ou bien de minisérie –, parce que leur format ne permettent habituellement pas de s’alanguir sur les autres protagonistes. Malgré l’obséquiosité de façade et un caractère taciturne affirmé, Owen impose une présence stellaire à son docteur Thackery. L’acteur fascine par une prestation orale et physique très sensorielle qui rappelle combien il pratique assidument la scène (notamment à Broadway).
Toutefois, il est bien entouré, à commencer par deux actrices aussi sublimes que justes. Il y a Cornelia Robertson (Juliet Rylance) en héritière privée de liberté et Lucy Elkins (Eve Hewson) en infirmière dévouée. Toutes deux illuminent l’écran de leur présence bien qu’elles soient souvent reléguées à de simples saynètes. C’est justement le principal reproche que l’on puisse faire au travail des Amiel et Belger. La saison 1 échoue dans la répartition des temps de parole et reste trop centrée sur Thackery. Le reste de la distribution aiguise pourtant la curiosité du téléspectateur et mériterait un peu plus d’épaisseur dans le récit.
Mais il me faut évoquer, pour terminer, la vraie révélation de la série, l’acteur Andre Holland dans le rôle du Dr Algernon Edwards qui éclabousse de talent la série comme une artère tout juste perforée. Entre le flegme du praticien sûr de lui et la rage profonde qui l’anime et déborde parfois, Holland est fantastique en tout point des dix épisodes de la saison. Finalement Martinez ne serait pas le seul à pouvoir prétendre avoir été oublié aux Emmys.
Parce qu’elle est si puissante et singulière, on oublie rapidement que The Knick relate un autre siècle. Elle devrait néanmoins rester durablement dans nos mémoires !
Retrouvez ce billet dans la sélection hebdomadaire Séries Mania.
Visuels & Vidéo : The Knick / Cinemax / Anonymous Content
Music : The Knick Soundtrack par Cliff Martinez (2014 Milan Rec.)
* : Je parle plus longuement de Cliff Martinez et de son travail sur The Knick à l’occasion d’un article sur la bande originale sérielle paru dans le numéro 4 de MoreTV.
Un avis sur « Une autre anatomie, The Knick saison 1 »