(HBO) saison 2 en huit épisodes et sur OCS chaque lundi soir –
Avec True Detective, on mesure désormais pleinement en quoi consiste l’anthologie saisonnière ! Le précédent American Horror Story, parce qu’il était circonscrit à un genre très codifié, n’aura pas eu le même impact. Après la Louisiane, Matthew McConaughey, Woody Harrelson, Cary J. Fukunaga, Carcosa, etc… tout reconstruire semble au mieux courageux et au pire absurde.
Nous voici pourtant transposé en Californie. D’un duo principal, nous passons à un quatuor. Mais cette escouade élargie louvoie sans attendre vers le genre du noir et on serait presque surpris de voir avec quelle facilité True Detective reprend la réflexion de son auteur et ses thèmes de prédilection.
Attention ! Ce qui suit est un récapitulatif dudit épisode. Vous auriez tout intérêt à l’avoir vu avant de lire la suite.
“I welcome Judgement”
Après une ouverture mystérieuse sur un chant de poteaux annotés, Ray Velcoro (Colin Farrell) apparaît dans une double référence à la saison 1 ; d’abord en pleine conversation dans sa voiture puis sous le feu d’un interrogatoire. Les deux séquences sont très vite désamorcés. Après l’avoir déposé à l’école, Velcoro tente de récupérer la garde de son fils et présente son cas à une avocate. Cette dernière aura fort à faire. Raymond est un flic bien trop familier avec la bouteille et sûrement adepte de la sniffette.
Avec son regard marqué, Il trimballe tout son passé en bandoulière. Alors qu’il s’est sûrement senti responsable du viol de sa femme, on comprend qu’il a depuis basculé vers le côté obscur. Un informateur habile l’avait alors tuyauté pour qu’il assouvisse sa rage et se fasse justice lui-même envers l’agresseur. Depuis, loin d’avoir retrouvé une paix de l’esprit, il sculpte les visages avec ses poings que ce soit le père d’un gamin qui humilie son fils ou qu’il soit journaliste trop gênant pour les activités de son bienfaiteur.
“Never do anything out of hunger”
Ce bienfaiteur justement, se nomme Francis Semyon (Vince Vaughn). Il dirige le casino de Vinci et s’apprête à lancer un vaste projet qui doit permettre la construction d’une ligne de chemin de fer traversant le « Golden State. » En plus des retombées économiques, l’enjeu pour Semyon est d’atteindre enfin une légitimité grâce à ce montage soutenu par l’état fédéral.
Car le principal moteur de Frank est sa volonté de faire table rase du passé. Il vante à Velcoro l’influence de sa femme qui “adoucit ses sombres penchants”, tout comme leur désir d’avoir des enfants.
Va-t-il pour autant garder son calme entre une mauvaise presse, un investisseur russe désinvolte et un partenaire en affaires aux abonnés absents ?
“Let’s not talk this to death”
Vient ensuite Antigone “Ani” Bezzerides (Rachel McAdams), flic du compté de Ventura et véritable hérisson, au sens figuré, car elle repousse le moindre être humain qui l’approche en raison d’un caractère abrasif, et au sens propre, puisqu’elle collectionne les lames effilées dispersées dans les moindre replis de ses vêtements.
Ani se révèle ici sous les regards croisés de sa famille. Sa soeur tout d’abord qu’elle surprend lors d’une descente alors qu’elle se masturbe devant une webcam puis, son père ensuite, lors d’une enquête sur une disparue qui l’amène dans l’Institut de “relaxation” paternel. Ces deux confrontations nous font vite comprendre qu’Ani ne supporte pas les moeurs légères de sa soeur et le détachement de son père. Dans les deux cas, le clash est inévitable !
“We were working for America, sir.”
Enfin, c’est Paul Woodrugh (Taylor Kitsch) qui se livre en dernier. Motard en tenue de la brigade policière des autoroutes le jour et motard inconscient – sans casque ni lumière – la nuit. Paul est rapidement propulsé en vacances forcées suite à l’arrestation d’une actrice qui l’accuse de l’avoir abusé. Si cet incident le contrarie, on comprend rapidement que Paul est taraudé par des problèmes plus anciens. Son corps est couvert par les stigmates de traumatismes qu’il refoule. La guerre à laquelle il a participé et qu’il ne souhaite pas ressasser avec sa compagne, une vaste balafre antérieure à son passage sous les armes et cette mystérieuse affaire de la “montagne noire”…
C’est justement Woodrugh qui découvre Ben Caspere, gestionnaire de la ville de Vinci et associé de Semyon dans l’affaire du rail. Bezzerides et son coéquipier sont appelés sur place dans le cadre de leur juridiction et Velcoro complète la brochette du trio des forces de l’ordre en tant qu’inspecteur chargé de l’enquête sur la disparition, devenue désormais un homicide.
Au préalable, Ray avait découvert le lupanar aux décorations d’un goût discutable de l’officiel recherché. Sans ses yeux – désintégrés à l’acide – le corps du notable annonce une sombre affaire. Ce nouveau récit peut alors commencer !
Aucun doute possible, si le soleil californien succède au louisainais, True Detective garde toute sa noirceur et ses visions glauques fugitives (l’espèce de corbeau empaillé, le squelette couvert de bijoux).
S’il est encore un peu tôt pour se prononcer quant aux enjeux sous-jacents, les obsessions de Nic Pizzolatto refont néanmoins surface. La présence d’un prédicateur, même s’il n’est plus religieux, rappelle la charge de l’auteur contre l’aliénation de l’esprit.
La mise en lumière à nouveau crue et cruelle des déficiences du tropisme masculin, ici avec l’impuissance et la perte de la paternité, annoncent sûrement de nouveaux débats quant à la faiblesse de ses personnages féminins (le parcours de McAdams sera forcément décortiqué).
Privé du montage temporel de la saison 1, cet épisode perd en dynamisme et s’insinue par une infusion à la lenteur aussi décadente que délicieuse. Elle va toutefois de paire avec des dialogues plus directs et – pour l’instant – privés de toute pensée métaphysique.
Cette introduction est en bonne partie happée par la performance de Colin Farrell. Son interprétation est en tout point remarquable dans le rôle du flic pourri, un rôle peu ragoûtant et pas aussi évident qu’on pourrait le penser.
Pour l’instant, les personnages de Rachel McAdams et Vince Vaughn ne livrent pas avec la même intensité que Velcoro et Taylor Kitsch reste un peu en retrait. Le quatuor est malgré tout très convaincant.
Au delà du casting, on a beaucoup insisté sur l’absence du metteur en scène Cary Joji Fukunaga en prévision de cette deuxième saison. A mon sens, il faut surtout regretter son chef opérateur, Adam Arkapaw, dont les cadrages manquent cruellement dans cette ouverture.
Au vu de cet épisode, on peut également s’interroger sur le choix de Justin Lin pour diriger cette entrée en matière. Lin et son expérience Fast & Furious semblait indiquer une prise de risque en matière d’action. Il n’en est rien et le résultat s’avère même privé de tout spectaculaire.
Mais au final, ne perdons pas de vue l’essentiel : la suite s’annonce imprévisible et c’est tout simplement jouissif !
Navigation :
s02e02 : Night Finds You
s02e03 : Maybe Tomorrow
s02e04 : Down will Come
s02e05 : Other Lives
s02e06 : Church in Ruins
s02e07 : Black Maps and Motel Rooms
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Théories glanées à gauche et à droite (essentiellement sur reddit) :
- L’une des grosses interrogations de ce premier épisode concerne le fils de Velcoro. Est-il vraiment son père ?
Parallèlement, Semyon lui a-t-il vraiment donné le nom du bon violeur, et non pas une personne qu’il souhaitait voir disparaitre ? L’associé de Semyon – le grand roux – présente au moins un attribut physique qui le rapproche de Chad. Coincidence ? - L’affaire de « Black Mountain » mentionné par Woodrugh évoque « Blackwater », cette compagnie spécialisée en mercenaires dont le rôle de sécurisation durant (et après) la guerre d’Irak avait donné lieu à des dérapages (voir cet article du Monde).
- Quid de la tête de corbeau ? Son apparition au côté de Caspere alors qu’il est transporté (et sûrement déjà refroidi) fait froid dans le dos. Il se pourrait que ce soit un masque. Hors le masque animalier peut faire penser à Eyes Wide Shut et cette soirée orgiaque ou des notables masqués sont entourés de jeune femmes dénudées. Trois éléments viennent corroborer cette hypothèse. La secrétaire de Caspere mentionne ses virées régulières dans la vallée. La décoration de son appartement témoigne de son goût pour la chose. Et puis, le tournage resté très secret n’avait pu cacher l’ajout au casting d’actrices porno pour une scène explicite.
Observations diverses :
- Le générique d’ouverture reprend le même concept graphique de superposition des visages aux décors. Il est à nouveau réalisé par Patrick Clair et le studio Elastic. Les photos utilisées sont signées David Maisel.
La musique qui l’accompagne est, quand à elle, signée Leonard Cohen. - Bien qu’on fera le plus souvent référence à elle par son diminutif, Ani se nomme bien Antigone (et sa soeur Athena). Son père l’appelle ainsi lors de leur rencontre à l’institut et il est difficile de ne pas penser, s’agissant de Pizzolatto, qu’il y a là une référence littéraire à l’oeuvre de Sophocle. La suite nous le dira…
Entertainment Weekly m’apprend aussi que son nom de famille, Bezzerides, fait sûrement référence à l’écrivain et scénariste A.I. Bezzerides ! - Vinci est un nom fictif mais il fait référence à une ville bien réelle de l’état de Californie. Elle se nomme Vernon, ne compterait que 114 habitants mais plus de 1800 sociétés (environ 50 000 employés y travailleraient) et une tradition pour la corruption bien installée si l’on en croit ce reportage du New York Times. Le décès d’un officiel de la ville est lui aussi inspiré de faits réels.
- La chanteuse qui interprète “My least favourite life” (lien youtube en début d’article) dans le bar est Lera Lynn. La musique de True Detective est à nouveau supervisée par T Bone Burnett. Il a par contre prévu plusieurs titres spécialement composés pour cette saison.
Remerciements à Canalsat et OCS !
Visuels : True Detective / HBO / Anonymous Content / Lee Caplin / Picture Entr. / Passenger
Bon article.
Attention à la faute « quand » pour « quant ». Trois occurrences de cette confusion.
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C’est corrigé, merci ;o)
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